Le 13/04/1805 (23 germinal an XIII) naît au Havre une fille naturelle nommée Julie Rose Célestine HUREL, que Marie Madeleine Claudine HUREL sa mère dit avoir été reconnue préalablement dans un écrit adressé au Préfet par feu Mathieu TESTON. Contrairement aux règles qui régissent la rédaction d'un acte de naissance, l'acte établit fait état de cette "reconnaissance" suite à une demande insistante de la mère, mais les magistrats qui auront plus tard à juger cette affaire diront que celle "reconnaissance" ne peut être retenue.
Mais commençons cette enquête par le début...
Le 12/10/1783 naît au Havre, dans la paroisse Notre-Dame, une fille qui sera nommée Marie Madeleine Claudine HUREL. Son père exerce le métier de peintre vitrier et sa mère n'a pas de profession connue.
Pour simplifier, on la nommera Claudine dans ce qui suit.
Le 08/06/1803 (19 prairial an XI), à l'âge de 19 ans, elle donne le jour à un fils naturel nommé Henry Félix HUREL. Ce fils sera par la suite reconnu le 15/06/1813 par Philippe Félix LEROY, un capitaine de navire, devenu l'époux de sa mère en 1807.
Le 25/06/1806, c'est une nouvelle naissance, un fils que Claudine ne peut pas élever et qu'elle abandonne au portail de l'hôpital d'Ingouville. Celui-ci, nommé simplement Justin Barnabé dans l'acte de naissance qui sera établi, sera toutefois repris plus tard par sa mère lorsqu'elle se sera mariée. Il sera lui aussi reconnu par Philippe Félix LEROY le 15/06/1813, le même jour que son frère aîné.
Le 07/02/1807 à Sainte-Adresse, Claudine HUREL âgée de 23 ans et Philippe Félix LEROY âgé de 50 ans régularisent enfin leur situation en se mariant.
Leur fille Sophie Colette LEROY viendra au monde 4 mois plus tard le 25/06/1807, puis leur fils Philippe Jules LEROY le 18/04/1811.
Malgré un début un peu compliqué, l'étude de cette famille semble donc maintenant claire, sauf que ...
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En juillet 1804, un an après la naissance de son premier fils, Claudine se trouve de nouveau enceinte.
A cette époque, encore célibataire, elle accompagne dans sa fin de vie un homme veuf, âgé de 74 ans, nommé Mathieu TESTON. C'est un riche négociant du Havre, demeurant sur le Grand Quai, qui vit maintenant de ses rentes après avoir importé des alcools et de l'eau de vie.
Et Claudine se dit sans doute que c'est la chance de sa vie, et qu'il y a peut-être beaucoup d'argent à gagner si elle réussit à convaincre Mathieu TESTON qu'il est le père de cet enfant à venir. Elle mène si bien son entreprise qu'un mariage entre eux est décidé très rapidement pour le 26/09/1804 (1 vendémiaire an XIII) mais les proches et les amis du futur marié ayant appris ses intentions et le sachant en fin de vie et vulnérable vu son âge vont convaincre le maire de ne pas procéder à ce mariage. Les bans étant déjà proclamés, le service de l'état civil informe aussitôt Mathieu TESTON qu'il ne peut être marié au prétexte qu'il n'a pas fournit l'acte de décès de son père ; l'acte de mariage qui était déjà rédigé dans le registre de l'an XIII se trouve de ce fait annulé.
A 74 ans, Mathieu TESTON sait que son père est mort depuis plusieurs années, en Corse, et que ses proches le savent parfaitement. Il comprend bien que ses futurs héritiers collatéraux veulent sans doute lui faire une mauvaise difficulté, mais il va poursuivre les démarches pour parvenir au mariage.
Obtenir l'acte de décès de son père ne vas pas être simple, car les voies maritimes fonctionnent très mal à cause du blocus maritime imposé par les Anglais. Il ne faut donc compter que sur la voie terrestre jusqu'à un port méditerranéen puis un passage maritime jusqu'à la Corse pour obtenir ce document. Finalement, cet acte constatant le décès de son père en 1776 à l'âge de 98 ans lui parviendra bien trois mois plus tard, le 7 nivôse an XIII, mais la veille de son propre décès.
Entretemps, Mathieu TESTON aura adressé une première demande argumentée le 17 brumaire an XIII au maire du Havre pour obtenir l'autorisation de son mariage. Le maire maintiendra son refus dans sa réponse du 23, s'en tenant à l'application de l'article 153 du Code Napoléon : l'acte de décès de son père est nécessaire. Mathieu TESTON s'adressera alors au préfet du département en déposant une demande le 27 du même mois au secrétariat de la sous-préfecture du Havre, demande à laquelle il ne sera point répondu. Dans cette dernière demande, il écrit :
"Mon mariage est nécessaire, il est extrêmement urgent. Les mœurs le réclament et mon honneur me le commande. Celle a laquelle je désire m'unir est enceinte, sa grossesse avance, son enfant a besoin d'un père et d'un état civil"
Ce projet de mariage se clos ainsi par le décès de Mathieu TESTON, le futur marié.
Suite à ce décès, des scellées sont immédiatement posées au domicile de feu Mathieu TESTON. Claudine HUREL va s'y opposer mais sans obtenir gain de cause. Elle se retrouve à nouveau seule, enceinte, avec son premier enfant naturel à charge. Elle demeure chez ses parents rue de l'hôpital, lorsqu'elle donne naissance le 29 germinal an XIII (13/04/1805) à sa fille Julie Rose Célestine. Au moment de déclarer la naissance, elle insiste pour que la mention soit faite dans cet acte que Mathieu TESTON est le père de cet enfant, comme il en avait fait l'aveu dans le courrier qu'il avait adressé au Préfet. Toutefois, sérieux et prudent, l'officier d'état civil rédige l'acte au nom de Julie Rose Célestine HUREL.
(on peut noter que, curieusement, cette dernière se mariera le 11/10/1821 au Havre sous le nom de Julie Rose Célestine TESTON, ce qui est une erreur d'état civil - voir l'acte).
Mais Claudine HUREL est opiniâtre et ne compte pas en rester là. Elle attaque en justice les cohéritiers de Mathieu TESTON pour obtenir des droits de succession pour sa fille ainsi qu'une pension alimentaire.
Entretemps, six mois après la naissance de sa fille, une nouvelle aventure en septembre 1805 la met à nouveau en état de grossesse. Cette fois, elle ne peut plus faire face et l'enfant qui naîtra le 25/06/1806 sera abandonné à la porte de l'hôpital.
Trois mois plus tard, en septembre 1806, c'est une nouvelle grossesse qui survient. Cette fois, le père semble plus apte à remplir ses responsabilités, ce qui aboutira au mariage entre Philippe Félix LEROY et Claudine HUREL le 07/02/1807 à Sainte-Adresse. De ce mariage naitront Sophie Colette en 1807, 4 mois après le dit mariage puis Philippe Jules en 1811.
Philippe Félix LEROY semble avoir été l'homme qui à partagé la vie aventureuse de Claudine HUREL dès 1802.
Après six ans de mariage, en 1813, il reconnait Henry Félix et Justin Barnabé, les deux fils naturels de Claudine nés avant mariage. Par contre, Julie Rose Célestine ne peut être reconnue comme sa fille sans perdre la face puisque à sa naissance elle a été déclarée des œuvres de Mathieu TESTON et qu'il a lui-même soutenu cette version lorsqu'il à accompagné sa femme dans les dédales de son procès. Fin 1813, elle sera donc la seule de la famille LEROY à conserver son patronyme HUREL.
Capitaine au long cours, il décèdera lors d'un de ses voyages le 11/10/1818 à Saint-Louis-du-Sénégal à 62 ans.
Entretemps, le procès entamé par Claudine HUREL se poursuit.
Dans un premier jugement, elle ne peut obtenir de droits successoraux pour sa fille au titre qu'aucun acte authentique n'a été établi par lequel Mathieu TESTON reconnait sa paternité. Les quelques mots tirés d'un écrit déposé au secrétariat de la sous-préfecture et reproduit dans l'acte de naissance de Julie Rose Célestine n'ont aucune valeur légale. De plus, rien ne prouve que cet écrit soit vraiment de la main de Mathieu TESTON. Étonnamment, ce jugement accorde toutefois une pension alimentaire à Julie Rose Célestine !
Les cohéritiers de Mathieu TESTON font évidement appel de cette partie du jugement et la pension alimentaire se trouve annulée.
Claudine HUREL n'obtiendra donc rien de ce mauvais procès et sera même condamnée aux dépens.
nota:
Pour se donner une idée de la fortune de Mathieu TESTON, on remarque que dans les mois qui suivent son décès, un certain Guillaume Pierre François FORTIN cautionne dans une affaire Marie Anne TESTON sa cousine germaine demeurant à Honfleur jusqu'à un montant de 20.000 francs représentant le montant du mobiliaire de la succession du défunt Mathieu TESTON. (ADSM 3 U 2/923)
A titre de comparaison, la solde mensuelle du capitaine Philippe Félix LEROY était de 120 francs lorsqu'il embarque le 19/08/1815 sur le Saint-Sauveur au départ du Havre (voir ici)
Sources:
[1] 11/10/1783 Le Havre Notre-Dame - acte de baptême de Marie Madeleine Claudine HUREL
[2] 06/06/1803 Le Havre - acte de naissance de Henry Félix HUREL
[3] 26/09/1804 Le Havre - acte de mariage annulé entre Mathieu TESTON et Claudine HUREL
[4] 29/12/1804 Le Havre - acte de décès de Mathieu TESTON
[5] 13/04/1805 Le Havre - acte de naissance de Julie Rose Célestine HUREL
[6] 25/06/1806 Ingouville - acte de naissance de Justin Barnabé enfant trouvé
[7] 07/02/1807 Sainte-Adresse - acte de mariage entre Philippe Félix LEROY et Claudine HUREL
[8] 25/06/1807 Sainte Adresse - acte de naissance de Sophie Colette LEROY
[9] 18/04/1811 Sainte-Adresse - acte de naissance de Philippe Jules LEROY
[10] 15/06/1813 Le Havre - acte de reconnaissance de Henry Félix HUREL > Henry Félix LEROY
[12] commentaires sur le jugement (Jurisprudence générale du Royaume ...)
[13) commentaires sur le jugement (Jurisprudence du Code Civil)