En faisant des recherches sur Anthime Ambroise GALLAIS, un petit-fils de mes Sosa 152 & 153, je découvre une curiosité : un acte de reconnaissance / légitimation d'un enfant lors du mariage des parents annulé quinze ans plus tard par un jugement à la demande de l'enfant devenu majeur ! C'est la première fois que je suis confronté à ce cas rarissime et j'ai donc tenté d'en comprendre la raison.
Voici donc l'histoire :
Elle se passe dans le canton de Valmont, particulièrement dans les communes de Thiergeville, Sorquainville et Ypreville-Biville et se termine à Beuzeville-la-Guérard.
Dorothée Adèle PITTE naît le 21/12/1828 à Thiergeville.
A 24 ans, encore célibataire, elle donne le jour le 23/03/1852 à Sorquainville à une fille naturelle qui sera nommée Adèle Esther PITTE.
Onze ans et demi plus tard, le 16/11/1863, toujours à Sorquainville, Dorothée se marie avec Anthime Ambroise GALLAIS. L'épouse a alors 34 ans et l'époux 22 ans. Dans leur acte de mariage, il est précisé que Adèle Esther PITTE, née auparavant, est reconnue et légitimée par les deux époux ; elle devient ainsi Adèle Esther GALLAIS.
Tout semble on ne peut plus normal. Les années passent.
En juin 1873, le couple sera les parents d'une fille malheureusement née sans vie.
Le 27/03/1875, Dorothée Adèle PITTE, la mère, décède à Sorquainville âgée de 46 ans. Son époux, veuf, est donc sans descendance.
L'année suivante, au recensement de 1876 à Sorquainville, On retrouve le père et la fille vivant ensemble. Une jeune nièce les accompagne.
On constate cependant que cette famille est bien étrange avec un père qui n'a que 10 ans et 4 mois de plus que sa fille légitime ; il est évident que le jour de son mariage Anthime Ambroise GALLAIS n'a reconnu et légitimé la fille naturelle de son épouse que par complaisance et qu'il n'en est nullement le père biologique.
Une année passe et nous arrivons au printemps 1877. Adèle a maintenant 25 ans. Encore célibataire, elle vit toujours avec celui qui est son père aux yeux de la Loi. Sachant l'un et l'autre qu'il n'y a aucun lien du sang entre eux, et se plaisant sans doute à vivre ensemble, ils franchissent un cap dangereux en entamant une liaison amoureuse. L'inévitable survient dès le mois de septembre lorsque Adèle constate qu'elle est enceinte.
La situation est grave car, si le Code pénal rédigé dès 1791 décriminalise l'inceste, la promulgation de ce code pénal en 1810 ne parle plus d'inceste mais de viol avec circonstances aggravantes. Les personnes qui détiennent une autorité de droit (les parents) sont désormais sévèrement punies lorsqu'elles sont les initiatrices de la corruption de leurs enfants. Il faut donc trouver rapidement une solution et la plus originale trouvée est de faire juger par un tribunal que Anthime n'est pas le père d'Adèle.
C'est celle-ci qui entreprend de faire annuler par voie de justice sa reconnaissance qui avait été faite en 1863. Et cette annulation s'obtiendra très facilement car il est établi et reconnu de manière fort simple que Anthime Ambroise GALLAIS né le 01/11/1841 n'avait pas encore 10 ans et était donc impubère lorsque Adèle Esther PITTE fut conçue ; ils ne peuvent donc être père et fille aux yeux de la loi. Un jugement du 25/03/1878 à Yvetot transcrit sur les registres de Sorquainville le 03/04/1878 signifie cette annulation. Adèle Esther GALLAIS reprend donc le nom de PITTE.
Ce jugement intervient fort à propos car quelques jours plus tard, le 15/04/1878, naît le premier enfant de Adèle Esther PITTE et d'un "père inconnu". La naissance aura lieu à Ypreville-Biville, village voisin où le couple était venu résider temporairement, et le déclarant de cette naissance est Anthime Ambroise GALLAIS.
Anthime Ambroise GALLAIS et Adèle Esther PITTE ont sans doute songés à se marier ensemble, mais c'était impossible car suite au jugement obtenu, Adèle était maintenant devenue la belle-fille de Anthime et c'est une situation qui rendait le mariage entre eux interdit par la loi.
Malgré ces péripéties, la famille vivra des jours heureux à Sorquainville puis à Beuzeville-la-Guérard où se suivront onze autres enfants qui naîtront tous de "père inconnu" au domicile de Anthime Ambroise GALLAIS. Avec le temps, ce dernier se comportera vis à vis de l'état civil comme un véritable père notamment en déclarant et en signant lors du décès en bas âge de deux fils ; il sera aussi déclarant de la naissance des deux derniers enfants nés à Beuzeville-la-Guérard.
On remarquera que sur les recensements, Adèle Esther PITTE ne pouvant être désignée comme "épouse" est présentée comme "domestique" ou "servante à gages" avant d'être nommée "belle-fille" de Anthime Ambroise GALLAIS.
Exemple, ce recensement en 1891 à Beuzeville-la-Guérard où elle figure comme "domestique servante à gages"
ou encore celui de 1901 au même lieu, où elle est citée "servante à gages domestique"
en 1906, la situation évolue et Adèle Esther PITTE est clairement nommée belle-fille d'Anthime Ambroise GALLAIS et les enfants d'Adèle sont maintenant cités petit-enfants de Anthime ! Quelle confusion... C'est pourtant la même personne qui à rédigé ces trois recensements.
En novembre 1908, Adèle Esther PITTE entreprend de reconnaitre enfin tous ses enfants encore vivants. Elle se rend à la mairie de Beuzeville-la-Guérard, accompagnée de Anthime Ambroise GALLAIS, et ce dernier signe comme témoin cet acte, voulant peut être montrer ainsi qu'il est le père et chef de famille.
Les fiches matricules des enfants sont aussi parlantes car celles-ci mentionnent le surnom "GALLAIS" pour Fernand Anthime Henri PITTE né en 1886 et Emile Marcel PITTE né en 1888. Les militaires savent tout de nous, c'est bien connu ...
Adèle Esther PITTE décède le 24/05/1909 à l'âge de 57 ans. L'acte de décès indique "ménagère" et "célibataire", deux termes antagoniste puisque une "ménagère" est généralement définie comme une épouse qui s'occupe de gérer et administrer un foyer.
Quand à Anthime Ambroise GALLAIS, il décède le 07/08/1914 a l'âge de 72 ans, veuf de Dorothée Adèle PITTE puisqu'il ne s'est jamais remarié.